L’Association internationale des travailleurs
Pour comprendre l’origine de cette chanson, il faut retourner à une époque où la révolution industrielle bat son plein en Europe. Nous sommes au XIXe siècle et on remplace les manufactures et les ateliers par d’immenses usines pour industrialiser la production textile, métallurgique et charbonnière notamment.
Seulement voilà, pour faire fonctionner tout cela, il faut des humains. Comme dirait l’autre, vous mettez un tas de féraille d’un côté, et un tas d’argent de l’autre, il ne se passe rien. On va donc massivement faire appel à une main d’oeuvre d’hommes, de femmes et d’enfants pour travailler 6 jours par semaine, entre 12 et 15h par jour, et les payer juste ce qu’il faut pour se nourrir, se laver et se loger. Comme d’habitude les femmes seront évidemment payés moins que les hommes. Et si une personne dans la famille tombe malade, tout le monde se retrouve dans la misère. Les nouveaux esclaves sont nés !
Heureusement, dès le milieu du XIXe siècle, la classe ouvrière s’organise, et sous l’influence des écrits de Marx, crée une conscience collective. Elle aboutit à un premier acte fort, la création de la première internationale des travailleurs par une coalition d’ouvriers anglais, français, allemands et suisses, à Genève, en 1866. Cette association de travailleurs vise à peser sur les gouvernements pour réclamer de meilleures conditions de travail partout en Europe et, déjà à l’époque, mettre fin à la concurrence entre salariés européens, qui tirent les paies vers le bas. On peut lire dans les statuts de l’association :
“L’assujettissement du travail au capital est la source de toute servitude politique, morale et matérielle ; l’émancipation des travailleurs n’est pas un problème simplement local ou national, qu’au contraire ce problème intéresse toutes les nations civilisées ; la base de notre conduite envers tous les hommes doit être la vérité, la justice, la morale, sans distinction de couleur, de croyance ou de nationalité”. Pour lire les statuts complets c’est ici.
Leur premier slogan ? 8 heures de travail, 8 heures de loisir et 8 heurs de sommeil. Cette formule, empruntée à un chef d’entreprise socialiste anglais, va devenir le mot d’ordre de toute la classe ouvrière à travers l’Europe. La bataille pour la réduction du temps de travail est lancée, et au fil des luttes, nous allons la retrouver dans les rizières du nord de l’Italie, là où est née le chant qui nous intéresse aujourd’hui.
Les Mondine
D’ordinaire connu pour ses pâtes, l’Italie est également le premier producteur de riz en Europe. Depuis longtemps, les rizières s’étendent le long de la plaine du Pô au Nord-ouest de l’Italie. Aujourd’hui mécanisée, la production faisait appel au XIXe et au début du XXe siècle à des ouvrières saisonnières pour désherber et repiquer les plants de riz.
On les appelait les Mondine, littéralement les “assainisseuses” ou “désherbeuses”. Courbées, pieds nus, de l’eau jusqu’aux genou, harassées par le soleil et torturées par les moustiques, elles travaillaient plus de 10 heures par jour et comme d’habitude… étaient moins payées que les hommes.
Vers la fin des années 1890, les premières luttes contre les Padroni, les maîtres des rizières, démarrent, avec comme principale revendication, la journée de 8 heures. Les grèves ne sont pas faciles car les Padroni recrutent des Clandestine, ouvrières étrangères acceptant de travailler à moindre coût pendant ces fameuses grèves. Depuis toujours, la concurrence entre les travailleurs reste la meilleure arme des capitalistes pour arriver à leurs fins.
Toujours est-il que pour se donner du courage, les Mondine entonnent une chanson pour dénoncer leurs conditions de travail et espérer des jours meilleurs.
“Le matin à peine levée, à la rizière je dois aller, entre les insectes et les moustiques, un dur labeur m’attends, le chef debout avec son bâton et nous courbées, à travailler. Toutes les heures, que nous passons ici, nous perdons notre jeunesse, mais un jour viendra où nous travaillerons en liberté.”
Extrait de la Bella Ciao des Mondine
Les Mondine obtiendront gain de cause à partir de 1906 et la journée de 8h sera définitivement adoptée pour les ouvrières des rizières. Et quelques années plus tard, c’est Giovanna Daffina, Mondina dès l’âge de 13 ans, qui, devenue chanteuse, entonne le chant des Mondine à travers l’Italie dès 1932.
Malgré les efforts de Giovanna pour populariser sa chanson, ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que cette chanson connaîtra la gloire et pas sous sa forme ouvrière.
Alors quittons les rizières du nord de l’Italie pour nous rendre au sud de Rome, dans les Abruzzes, en 1943.
La guerre des Partigiani
Mussolini est tombé. Après de multiples défaites militaires et un amateurisme confondant, il est lâché par les fascistes italiens et Hitler ne peut plus rien pour lui. Avec sa chute, l’Italie se retrouve séparée en deux zones. Au nord, les troupes allemandes et les fascistes italiens. Au sud, les alliés, soutenus par les Partigiani, les résistants italiens. C’est à cette époque que les Nazis commencent à pratiquer la politique de la terre brûlée, rendant leur occupation terrifiante pour les Italiens.
Ainsi, de nombreux groupes de résistance italienne voient le jour, et à l’image des résistants français réfugiés dans les maquis, ces groupes s’organisent dans les montagnes italiennes. La brigade Maiella, du nom de la montagne qui abrite ses membres, ne tardent pas à regrouper plus de 1.700 membres pour combattre la ligne Gustav, sorte de ligne Maginot allemande, située au sud de Rome pour défendre la capitale face aux alliés.
On raconte que c’est dans ce réseau de résistance que seront chantés pour la première fois les paroles de Bella Ciao telles que nous les connaissons aujourd’hui. Adaptées d’une vieille comptine italienne, les paroles sont collés à l’air du Bella Ciao des Mondine, un poil accéléré.
“Un matin, je me suis réveillé, Et j’ai trouvé l’envahisseur. Si je meurs en partisan, Il faudra que tu m’enterres sur la montagne, À l’ombre d’une belle fleur. Et les gens qui passeront, Me diront « Quelle belle fleur ». C’est la fleur du partisan, Mort pour la liberté.”
Bella Ciao des Partigiani
Et aujourd’hui ?
En France, cette chanson sera popularisée par Yves Montand comme un hommage à ses origines italiennes. Mais aussi, grâce aux mouvements étudiants et anti-fascistes italiens, elle sera entonnée dans de nombreux cortèges qui se revendiquent du camp de l’émancipation partout dans le monde.
C’est évidemment la série Netflix, Casa de Papel, qui la fera définitivement connaître, au monde entier. Il s’agit en effet du chant fétiche des braqueurs “d’El Profesor”. Cela a donné lieu à tout un tas de reprises, plus gênantes les unes que les autres et heureusement pour vos oreilles nous ne vous les ferons pas découvrir dans ce podcast.
Non on va finir par Chumbawamba, un groupe de punk rock anglais, qui nous donne une nouvelle version, qui n’a rien à envier à la poésie des mondines :
“Souhaitez-moi bonne chance maintenant, je dois vous quitter, Avec mes amis, Nous allons secouer les portes de l’enfer, Et nous leur dirons Que notre soleil n’est pas disponible pour être franchisé, Et nous souhaitons que les salauds tombent morts”
Bella Ciao du groupe Chumbawanba
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