L’humiliation
Nous sommes en 1870. Napoléon III vient de se faire posséder comme un gamin par un Bismarck plus stratège et mieux conseillé. Napoléon est capturé par les armées prussiennes qui réclament à la France la cession de l’Alsace et de la Lorraine. Suite à cette capture, la IIIe République est proclamée, et le gouvernement de la Défense nationale, pas franchement décidé à continuer les combats, va vite céder aux attentes des Prusses.
En effet, le 28 janvier 1871, ce gouvernement signe un armistice de 4 semaines. Dans la foulée et après de nouvelles élections, une Assemblée nationale à l’immense majorité royaliste est nouvellement élue. Elle désigne Adolphe Thiers comme « chef du gouvernement exécutif de la République française » qui installe son gouvernement à Versailles. Arrêtons-nous un moment sur ce personnage qui a bien des égards mérite le prénom qu’on lui a donné.
Adolphe Thiers est un homme politique français résolument conservateur, une sorte de Manuel Valls de son époque, capable de chanter les louanges des royalistes un jour et le lendemain de soutenir la main sur le coeur, les causes républicaines.
Karl Marx dira de lui je cite que ce « nabot monstrueux tient sous le charme la bourgeoisie française (…) parce qu’il est l’expression intellectuelle la plus achevée de sa propre corruption de classe ». Si vous ajoutez à cela sa capacité à réprimer violemment les mouvements insurrectionnels à Lyon comme à Paris, vous avez donc le candidat parfait pour protéger les intérêts des possédants tout en éteignant les révoltes populaires.
Et ça tombe bien puisque c’est sa mission. Il doit en effet vite en terminer avec la guerre face aux Prusses, car la révolte couve à Paris, où plus de 180 000 gardes nationaux, les “fédérés” ont fait sécession et décident de ne plus répondre aux ordres du gouvernement.
Thiers cède donc tout ou presque aux Prusses et signe un armistice qui s’apparente davantage à une capitulation en donnant les deux départements de l’Alsace et plus étonnant la Lorraine, territoire n’ayant pourtant aucune accointance ni aucune culture allemande.
Nous sommes le 1er mars 1871 et les Parisiens ont déserté les pavés de la capitale. Ils sont rentrés chez eux, ont fermé leur volets, voilé les statues, et à travers l’interstice des rideaux et des fenêtres, ils constatent l’ampleur du désastre. Les casques à pointes des armées de Bismarck défilent à Paris et consacrent la victoire des armées prussiennes face à la France.
Reste donc pour Thiers à soumettre Paris. Mais attention cher Adolphe car comme le dira Madame Edgar Quinet : “Si Paris s’aperçoit qu’on l’a joué, le revirement sera terrible”.

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L’insurrection
Durement marqué par le siège qu’elle a vécue pendant un an, affamé par une famine qui aurait pû être évité, travaillée en profondeur par les clubs politiques qui se créent un peu partout dans la capitale et trahie par ceux qui la gouverne, Paris n’est pas la ville bourgeoise que nous connaissons aujourd’hui. Parmi les 1,7 millions d’habitants de l’époque, on compte selon le Baron Haussman, plus d’un million de précaires qui sont dans une pauvreté voisine de l’indigence.
Les ingrédients semblent réunis pour l’insurrection et ce cher Thiers le sait bien et il va commencer par essayer d’afflaiblir l’armée des fédérés. Il décide, le 18 mars 1871 de faire retirer 227 canons qui avaient pourtant étaient payés par les Parisiens. Disposés à Montmartre et à Belleville, ils étaient destinés à repousser l’ennemi Prusse. Thiers envoie ainsi 4000 soldats pour les récupérer. Pourtant, face à la foule et la garde rassemblée pour défendre ses canons, les soldats font marche arrière, et mieux certains rallient les fédérés.
Se sentant isolé face aux parisiens, Thiers renonce à contre-attaquer et laisse donc de fait la ville aux Parisiens. 10 jours plus tard, ils proclament “La Commune de Paris” et annoncent des élections municipales ! C’est le début d’une révolution qui va inspirer les mouvements insurrectionnels du monde entier, par son originalité, ses décisions et son mode d’action.

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La commune de Paris
Les communeux se retrouvent donc livrés à eux-mêmes. Oui, appelons-les les communeux et non les communards, car c’était ainsi qu’ils s’appelaient entre eux. Les communards étant l’appellation choisie par les Versaillais.
Les communeux donc s’organisent, ils viennent de mettre en place des élections consacrant 79 élus qui vont structurer la vie de la capitale pendant moins de 3 mois. Parmi ces élus, les idéologies divergent souvent, puisqu’on retrouve des blanquistes, des jacobins, des proudhoniens, des socialistes, des membres de l’Association internationale des travailleurs, et des indépendants. C’est sûrement cette diversité qui expliquera la multiplicité des projets de loi, ainsi que leur visée profondément révolutionnaire.
Même si ces élus comme Blanqui, Proudhon, Varlin ou Vallès sont exclusivement masculins, les femmes, comme Louise Michel ou Élisabeth Dmitrieff, participent elles aussi activement à la gestion militaire, aux combats, aux clubs politiques, et même aux conseils municipaux des arrondissements. Ensemble ils mettent en place un programme ambitieux soumis à l’approbation permanente du peuple puisque ces élus sont révocables à tout moment. Riche idée non ?
Pour ne citer que quelques mesures on peut lister : la séparation complète de l’église et de l’état, la création de coopératives ouvrières en réquisitionnant les ateliers abandonnés par leur propriétaires, l’ouverture de la citoyenneté aux étrangers, l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, la réquisition des logements vacants pour les sans domiciles et aussi l’instauration d’une Fédération des artistes de Paris présidé par le peintre Gustave Courbet.
Alors c’est quoi cette fédération ? C’est une sorte de comité des artistes français et étrangers qui veut rendre à tous les parisiens ce qu’ils appellent “le luxe communal”. C’est-à-dire donner le droit aux habitants de vivre et de travailler dans un environnement agréable. La beauté aussi, selon les Communeux, ne doit pas être laissée aux puissants. Et cette question, fondamentale, est mise sur la table par celui qui a écrit le chant qui nous intéresse aujourd’hui, le poète, Eugène Pottier.

lire l’article sur l’Humanité : Eugène Pottier, ouvrier, poète et créateur de l’Internationale
Eugène Pottier
Né en 1816 d’un père bonapartiste et d’une mère dévote, Eugène Pottier, n’était pas destiné à un avenir de révolutionnaire. Pourtant il en prendra le chemin, plus certainement encore après les événements des Journées de Juin de 1848. Ces journées voient la révolte des ouvriers parisiens contre la fermeture de leurs ateliers. Eugène Pottier écrit :
Je ne sais rien en politique mais j’ai besoin de mouvement, la rue éclate en fusillades, le peuple va droit devant lui, allons faires des barricades !
La République, mettons-là entre guillemets, réprime dans le sang la révolution parisienne de juin 1848 et ces événements tragiques forgent un peu plus la conscience du peuple parisien qui réclamera de nouveau la République sociale à l’occasion des événements de la Commune de Paris. Et malheureusement là aussi, ils seront aussi réprimés dans le sang.
Nous sommes de retour en mai 1871 et Adolphe Thiers a eu le temps de regrouper ses troupes. Il va déferler sur les Communeux pendant la semaine sanglante de mai 1848. Le tout juste élu, Eugène Pottier et ses camarades font preuve d’une résistance héroïque. Et à la fin de cette honteuse semaine où l’on aura vu des Français s’attaquer à d’autres Français, on dénombre selon les estimations entre 10000 et 30000 morts. Nous sommes le 29 mai 1981 et les troupes versaillaises de Thiers ont mis fin à la Commune dans un véritable bain de sang. Tout ce qui ressemble de près ou de loin à un Communeux doit disparaître et pourtant malgré la traque systématique des élus communeux, Eugène Pottier parviendra à s’enfuir pour écrire l’Internationale, au coeur de la déroute, comme un nouvel espoir donné aux insurgés. Comme pour signifier que la lutte ne s’arrête jamais, il donne naissance au cri de ralliement de tous les opprimés du monde.

Lire le livret en accès libre : Eugène Pottier, auteur de « l’Internationale » par Maurice Choury
La mise en musique
Avant que ces paroles deviennent l’hymne de l’URSS, le texte de Pottier a suivi un chemin tortueux pour arriver aux oreilles du monde entier.
En effet, en 1888, 17 ans après la fin de la Commune, le chef du Parti Ouvrier Français de Lille, Gustave Delory, futur maire de la ville, demande à Pierre Degeyter, ouvrier et compositeur, de mettre en musique les paroles de Pottier pour en faire l’hymne du Parti.
Entouré de ses camarades de la Lyre des travailleurs, dans le quartier Saint Sauveur de Lille, il met en musique les paroles intemporelles de l’Internationale. Et c’est un succès immédiat puisqu’il devient l’hymne de la 2e internationale des travailleurs dès 1889. Depuis, il est repris à travers le monde et dans beaucoup de réunions par des gens bizarres, des fainéants, des riens, des sans-dents…
Aujourd’hui à Montmartre une basilique a remplacé les canons des Communeux. Les touristes la visitent sans rien soupçonner. Sans se douter que cet édifice fut construit pour expier les crimes des Communeux. Cette haine du Communeux ne sera jamais aussi bien retranscrite que dans les mots d’un des initiateurs du projet de la Basilique, le baron Hubert Rohault de Fleury, au moment de poser la première pierre de cet édifice religieux.
“Oui, c’est là où la Commune a commencé, là où ont été assassinés les généraux Clément-Thomas et Lecomte, que s’élèvera l’église du Sacré-Cœur ! Malgré nous, cette pensée ne pouvait nous quitter pendant la cérémonie dont on vient de lire les détails. Nous nous rappelions cette butte garnie de canons, sillonnée par des énergumènes avinés, habitée par une population qui paraissait hostile à toute idée religieuse et que la haine de l’Église semblait surtout animer.”
Hubert Rohault de Fleury – Discours au moment de la pose de la première de la Basilique de Montmartre
Détrompez-vous cher Hubert, ils étaient animés par la liberté, l’égalité et la fraternité, des mots intraduisibles pour vous.
N’hésitez pas à nous écrire pour nous proposer des idées d’œuvres révolutionnaires à fouiller et nous faire part de vos connaissance en la matière. Ce sera aussi un moyen pour nous d’avancer plus vite dans la production de ces podcasts. Pour nous écrire à ce sujet, une adresse mail est à votre disposition : contact@linternationale.fr
Quelques versions de l’Internationale