Lens
Rien ne va plus à Lens. Nous sommes en 2012 et le club végète en Ligue 2. Son président emblématique, Gervais Martel, vient de quitter le club et son équipe a bien du mal à se montrer à la hauteur de son public. Plus que les résultats, c’est surtout l’attitude que les supporters ont du mal à encaisser. Un direction distante, des joueurs peu investis, un club qui licencie à tour de bras… Le club champion de France en 1998 est au bord de la faillite.
Pourtant à Lens, on n’arrête pas de chanter. Comme dirait le kapo du stade, chargé de lancer les chants dans la tribune Marek, avec ou sans mégaphone, “ché pas une sono qui va m’arrêter”. Pour les abonnés de cette tribune, quoi qu’il advienne ils doivent chanter. Parce que Lens, c’est plus qu’un club de football, c’est un lien qui unit depuis des décennies des milliers de supporters de la région minière. Qu’ils viennent de Lens, Liévin, Oignies, La Bassée, Béthune, Noeux-Les-Mines, Calonne Ricouart, Valenciennes ou même de Lille… ces supporters le savent : les joueurs, les dirigeants ou les entraîneurs passent… les supporters restent, génération après génération.
Alors pour exprimer leur mécontentement mais chanter quand même, les supporters ont l’idée d’une chanson. À la gloire du public et au mépris de ceux qui ont voulu se nourrir sur la bête… les lensois chantent “on est là, même si vous l’méritez pas nous on est là, pour l’amour du maillot que vous portez sur le dos, même si vous l’méritez pas nous on est là”.
En des temps plus propices à la joie, et notamment lors de la montée en ligue 1 en 2014, les paroles seront de nouveau adaptées pour donner la version qui est chantée dans le stade Bollaert-Delelis encore aujourd’hui et trône en bonne place aux côtés de la marseillaise lensoise et des Corons.
Le mouvement social
C’est en 2017 que cette chanson va refaire surface et elle ne va cesser d’accompagner les réformes antisociales du président fraîchement élu, j’ai nommé Emmanuel Macron. Auréolé de sa toute nouvelle couronne jupitérienne, le Président soleil a un plan. Il passe d’abord par la destruction méthodique du Code du travail, déjà bien entamé sous le quinquennat de François Hollande. Dès l’été 2017, il est venu lui donner le coup de grâce.
En mode Blitzkrieg et à coup d’ordonnances, Macron et Pénicaud mettent à sac le code qui protège les travailleurs du secteur privé. Face à eux, la contestation s’organise. On ne balaye pas 1 siècle de luttes sociales, comme ça, sans opposition. Et c’est à Lille dans un cortège de cheminots que l’on va retrouver la trace de notre chanson.
C’est un supporter lensois de la fameuse tribune Marek qui va demander à un ami antifa de retravailler les paroles de la chanson pour la chanter en manifestation. Son idée ? Redonner un peu de vie et de couleurs aux cortèges syndicaux qu’il trouvait je cite “un peu tristoune avec leurs slogans sans rythme”.
Cette chanson va bien marcher puisqu’elle sera reprise par le cortège autonome, puis chantée en choeur par les syndicalistes de Sud Rail. Et c’est en suivant le rail et le train des réformes anti-sociales de Macron, qu’une nouvelle version va naître…
Nous voilà donc en mai 2018 et les marcheurs ne sont toujours pas rassasiés. Cette fois-ci ce sont les cheminots qui vont trinquer. La France crève sous le poids financier de cette caste de privilégiés que sont les cheminots. Vite, il faut privatiser, vite, il faut à tout prix satisfaire les jalousies malsaines, vite, il faut donner aux Français le scalp des cheminots et de leur statut.
C’est Macron et Borne qui seront à la manœuvre pour définitivement offrir aux capitaux privés, le rail français. De nouveau, la mobilisation s’organise. De nouveau, le gouvernement n’écoute rien. Pourtant c’est à tue-tête que les cheminots de la section CGT de LYON vont chanter pour la première fois la chanson qui se rapproche le plus de la version que nous connaissons aujourd’hui.
Elle fait un carton chez les cheminots et compte rapidement des milliers de vues sur Facebook. Finalement, elle rejoindra les gilets jaunes par l’entremise de ces mêmes cheminots. La convergence musicale est en marche !
Les Gilets Jaunes
L’été 2018 vient de passer et le mouvement social est un peu groggy par l’inflexibilité toute jupitérienne du Président de la République. Mais aussi puissant qu’il est, comme on dit à Lens, il n’est jamais assis que sur ses fesses. Il va faire une erreur stratégique majeure.
En début de quinquennat, Macron va rincer les copains comme on dit. Sanctuarisation du CICE, instauration de la Flat Tax, fin de l’ISF… bref les énergies sont libérées et Arnault et Pinault vont pouvoir respirer. Tout ça c’est bien beau mais ça fait moins d’argent dans les caisses alors que les dépenses publiques ne baissent pas assez vite. Et les écarts budgétaires voyez-vous, la commission européenne n’aime pas trop ! Et pour jouer les bons élèves, la France écrit le 15 octobre 2018 à ladite Commission je cite “Ces baisses de prélèvements seront partiellement contrebalancées par la poursuite de la montée en puissance de la fiscalité sur le tabac et de la fiscalité écologique”.
Macron a donc décidé d’agir comme un Robin des Bois qui aurait perdu sa boussole, il prend aux pauvres pour donner aux riches. Ce qu’il a donné à ses amis riches, il le reprendra en taxes supplémentaires sur le Diesel et les cigarettes. Le forfait du Président de la république est clair et les Français l’ont compris.
Nous sommes le 17 novembre 2018 quand pour la première fois, des millions de Français ont décidé de revêtir un Gilet jaune pour dire stop aux taxes injustes. Un mouvement social inédit, hors de tout contrôle politique et syndical, est né. Partout sur les ronds points, on discute, on théorise, on se demande ce qui pourrait être fait pour améliorer les choses. Sur les réseaux sociaux, en dehors de l’officialité médiatique qui les a déjà repeint en homophobes, racistes, xénophobes, violents et j’en passe, les gilets jaunes s’organisent et une plateforme de revendications finit par voir le jour.
Bien loin des préjugés relayés par la clique des Éditorialistes et des députés macronistes, les gilets jaunes revendiquent une fiscalité progressive, la mise en place du référendum d’initiative citoyenne, la sanction systématique des entreprises polluantes, l’interdiction immédiate du glyphosate… bref un programme écologique, social et démocrate.
Tour à tour, méprisés, matraqués et éborgnés, les gilets jaunes entonnent dès l’acte III une nouvelle chanson qui sera dorénavant leur signature. C’est Philou, cheminot du nord, qui va réécrire cette chanson avec comme idée de la chanter aux côtés des gilets jaunes. Il s’explique sur le choix des mots. “C’était que des travailleurs. Souvent des travailleurs précaires. J’ai parlé à des ouvriers agricoles, à des forains. Des petites mains qui bossent dans les grands hôtels. Qui n’y arrivent pas. Ou d’anciens travailleurs. Un papy en larmes parce qu’il devait aider sa fille alors qu’elle bossait mais qu’elle n’arrivait pas à vivre correctement avec ses deux gamins.”
Et aujourd’hui ?
Ce chant de contestation populaire continue à faire le tour des mouvements sociaux et au gré de ces derniers, il se réinvente. Dans la crise sanitaire que nous traversons, les soignants ont eu le droit à leur version. Elle rend les gouvernements successifs comptables de la situation actuelle. Comptables d’un hôpital à bout de souffle. Comptables d’un matériel qui n’arrive pas. Comptables de soignants trop peu nombreux. Comptables des EHPAD laissés à l’abandon. Comptables de leur hypocrisie.
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